Porté depuis 2012 par l’anthropologue et architecte togolais Sénamé Koffi Agbodjinou, le projet HubCité veut repenser le modèle de la ville africaine, pour et par ses habitants. Déployée à Lomé, cette initiative smart city s’appuie sur les technologies numériques pour aider les populations à se réapproprier l’environnement urbain. A terme, l’objectif est de faire émerger une vision africaine de la ville de demain, plus proche de la nature et de la collectivité.

La smart city est un modèle qui ne cesse de prendre de l’ampleur au niveau mondial. Connecter la ville pour simplifier son fonctionnement, via capteurs, plateformes de pilotage, solutions énergétiques neuves : les cas d’usage sont de plus en plus nombreux. Singapour en est peut-être l’exemple le plus éclatant. Mais l’essentiel de ces villes intelligentes émergent en Occident (Etats-Unis, Canada, Europe occidentale), Asie du Sud-Est et Océanie (Australie, Nouvelle-Zélande).

La smart city se développe loin de l’Afrique…

L’Afrique semble à peu près exclue de cette révolution, à l’exception de quelques initiatives au Maroc ou en Afrique du Sud. Mais, au Togo, une initiative originale prend de l’ampleur depuis 2012, dans les quartiers pauvres de Lomé, la capitale. Baptisée HubCité, elle est menée par Sénamé Koffi Agbodjinou, un anthropologue et architecte togolais.

Après être venu en France, à 20 ans, pour y achever ses études, l’homme revient très vite au pays, déterminé à s’engager pour l’Afrique. Il implante (logiquement) son projet dans son pays natal, mais sa vision est clairement panafricaine, et ambitionne de s’appliquer à l’ensemble du continent.

… mais, à Lomé (Togo), HubCité invente une nouvelle vision de la ville numérique

Le mantra de HubCité ? Permettre aux habitants de reconquérir leur environnement. Les outils numériques doivent être un moyen pour cela, dans une démarche profondément collective et collaborative. Cette smart city a l’africaine s’appuie sur des Woelabs, sorte de fablab ouverts à tous les habitants du quartier. Ces espaces sont tout à la fois des makerspaces, des espaces de coworking et des incubateurs de startups.

En quelques années, les quartiers de la frontière Lomé/Ghana se sont couverts de ces Woelabs, où les habitants peuvent échanger leur compétences, profiter de formations au numérique, d’outils en libre-service. Liberté et transparence sont les deux principes qui gouvernent ces fablabs collaboratifs, fonctionnant sur le principe de la démocratie technologique. Sénamé Koffi Agbodjinou promeut ainsi ce qu’il a baptisé le LowHighTech, c’est à dire utiliser les nouvelles technologies en les rendant accessibles et en minimisant leur impact sur la nature.

Les Woelabs : mettre la technologie de pointe a la portée des  populations, « pour les affranchir »

Plus globalement, l’idée est de repenser la ville dans un lien plus direct avec l’environnement naturel, en s’appuyant sur les modèles traditionnel d’urbanisation africaine – le village intégré dans un écosystème global, construit avec des matériaux locaux, plutôt que la ville de béton, coupée de la nature.

hubcite modele africain smart city - Les Smart Grids

« Nous nous engageons à essayer de faire nous-mêmes , à reprendre l’initiative sur la transformation du cadre de vie et n’attendre plus que cela vienne forcément d’en haut . Convaincus enfin que si on met la technologie de pointe et sa compréhension a la portée des  populations, on les affranchit… nous serons résolument LowHighTech ! » expose ainsi le manifeste défendant l’ambition de HubCité.

L’exemple des imprimantes 3D à partir de déchets recyclés

Certains de ces Woelabs sont d’ailleurs devenus des centres de déchets, qui collectent et recyclent les déchets déposés par les habitants. Quelques-uns se sont même transformé en centrale d’énergie, via des installations photovoltaïques, ou en brûlant les déchets putrescibles.

hubcite modele africain smart city - Les Smart Grids

Les imprimantes 3D de HubCité sont un parfait exemple de cette triple volonté, technologique, environnementale et collaborative : « Un des premiers challenges qu’on s’est lancé dans le projet HubCité a tourné autour de l’impression 3D. On s’est dit qu’on pouvait sortir du système industriel vertical et imaginer ce que le président Sankara [ancien président du Burkina Faso, grande figure du panafricanisme et de l’anti-impérialisme nldr] appelait des « usinettes », soit une distribution des capacités de production dans toute la ville. On a donc développé des imprimantes 3D suffisamment souples et agiles pour qu’elles soient accessibles à tous. Elles ont été construites à partir de déchets informatiques recyclés et ont été intégrées dans les écoles » expose avec passion Sénamé Koffi Agbodjinou dans un passionnant entretien à nos collègues de Usbek et Rica.

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Reconnecter la ville africaine avec son histoire et son environnement naturel

Plus globalement, l’architecte veut impulser une prise de conscience que la ville intelligente africaine doit retrouver ses racines : « Pour l’instant, la ville africaine est un territoire où s’exprime une volonté de consommer occidentale : plus les maisons sont construites avec du béton, du métal et de la vitre, et mieux c’est… Les installations occidentales classiques ont une approche civilisationnelle : elles procèdent par une sorte d’envie de s’échapper du naturel. C’est-à-dire qu’on fait ville contre le milieu dans lequel on s’installe pour créer une vitrification, une sorte de protection qui fait qu’on maîtrise son territoire et qu’on n’est pas contraint par l’environnement ».

« Les installations traditionnelles cultivaient quelque chose de plus organique car elles devaient composer avec le naturel. Comme tout est interdépendant, il y a une cohérence. Ce que je dis, c’est que parfois, cette cohérence doit être refabriquée de façon artificielle, dans des lieux où l’on oblige des jeunes d’une même génération à partager, à travailler ensemble et à développer un esprit du commun », complète Sénamé Koffi Agbodjinou.

Les dangers de la smart city à l’occidentale : isoler l’individu, devenir trop vite obsolète

Il se montre également très critique contre la smart city « à l’occidentale », qui, selon lui, utilise la technologie pour le bien d’un ensemble d’individus isolés, et non pour une collectivité consciente d’elle-même : « la technologie prétend de plus en plus se substituer aux instances sociales » attaque le créateur d’HubCité. Il pointe d’autre écueils des modèles occidentaux, comme le risque d’obsolescence des technologies installées à grand frais dans les villes – provoquant gâchis et déchets.

En chantre du panafricanisme, il souligne que l’évolution démographique donnera de plus en plus de poids à la population et aux villes africaines. Il appelle de ses vœux la création d’un modèle africain de ville numérisée et inclusive.

« La Smart City sera civilisée par l’Afrique »

« Si les futures mégapoles se construisent sur le modèle des Smart Cities, elles feront gagner la ville classique. Mais si l’Afrique se retrouve être un terrain de résistance aux projets d’individualisation, impose le collectif comme norme et oblige la Smart City à se soumettre au collectif, alors la technologie ne sera plus quelque chose qui remplace le social mais le sublime. Ainsi, la Smart City sera civilisée par l’Afrique et ce modèle s’imposera au monde grâce à la bascule démographique » conclue avec force Sénamé Koffi Agbodjinou.

Une vision qui peut être critiquée, mais qui a le mérite de l’ambition et de la hauteur de vue – tout en s’inscrivant dans un quotidien concret et optimiste. La vraie smart city viendra-t-elle d’Afrique ?

1 COMMENTAIRE

  1. Merci pour votre article qui détaille bien les points de cette vision africaine de la SmartCity.
    La question est aussi de savoir si les acteurs institutionnels en Afrique vont s’y intéresser et ne pas se laisser tenter par les modèles existants, intéressants sur le papier mais pas forcément adaptés aux réalités locales …

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