Une récente étude de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) propose des perspectives d’évolution du secteur de l’énergie, et notamment de l’électricité, en fonction des tendances lourdes observées actuellement. Un monde où les renouvelables auront la part belle, grâce à la production décentralisée, aux micro-grids, au stockage et à la gestion de la flexibilité pour les réseaux électriques. Décryptage, en trois parties.
Le 30 mai 2018, la CRE a rendu publique son Etude sur les perspectives stratégiques de l’énergie, une réflexion poussée sur la façon dont le secteur de l’énergie devrait évoluer dans les années à venir. Le document de 600 pages, qui met en avant le secteur de l’électricité en pleine révolution, s’appuie sur une analyse des tendances actuelles du secteur, confrontées à l’opinion d’experts internationaux du sujet.
« Un secteur de l’énergie largement refaçonné »
L’étude synthétise une douzaine de prévisions « qui dressent le portrait d’un secteur de l’énergie largement refaçonné sous l’effet combiné des évolutions technologiques et des politiques publiques répondant aux enjeux climatiques et sociaux ».
Nous décrypterons dans cette première partie les évolutions fortes du secteur de l’énergie en terme de demande et de type de production, et les évolutions cruciales qu’elles imposent aux gestionnaires des réseaux électriques.
Une demande d’énergie finale en hausse dans le monde, en baisse en Europe et en France
Concernant la demande en énergie finale, la CRE prévoit assez logiquement qu’elle va continuer de croître au niveau mondiale, poussée par la hausse de la demande dans les pays en développement. Cette hausse devrait pouvoir être limitée par une plus grande attention à l’efficacité énergétique.
En revanche, en Europe et en France, cette demande devrait diminuer, sous l’effet d’une activité économique et de niveaux de vie globalement stables, d’une attention plus grande à l’efficacité et d’une lutte contre le gaspillage. Preuve d’une véritable révolution, la demande en électricité pour l’Europe et la France pourrait diminuer ou, au pire, légèrement augmenter, malgré des transferts d’usage très importants vers l’électricité (mobilité et chaleur notamment).
Vers des mix électriques renouvelables
Les nouvelles capacités électriques, au niveau mondial, seront majoritairement renouvelables, dans un mouvement déjà perceptible qui ne fera que s’accentuer. Dans les pays développés, les systèmes électriques fortement décarbonnés, dépassant les 80% de renouvelables, deviendront la norme.
Les Zones Non Interconnectées (ZNI) seront les premières à atteindre ces objectifs, car ce sont celles sur lesquelles les efforts seront les plus intenses, étant historiquement les plus dépendantes de combustibles fossiles importés. Les zones interconnectées suivront l’exemple de ce qui a été réussi dans ces ZNI.
Une transformation en profondeur du rôle des gestionnaires réseau
Ces mix électriques intégrant une part importante de renouvelables, notamment intermittents (photovoltaïque et éolien), imposeront une transformation en profondeur des réseaux électriques, de leurs rôles et de leurs planifications. Leurs équilibres seront bouleversés par cette mutation.
La transition énergétique provoquera en effet un besoin significatif en réseau, pour intégrer une part croissante d’énergies renouvelables, bénéficier du foisonnement de la production d’EnR, et assurer la sécurité de l’approvisionnement dans une logique de production intermittente et décentralisée. Les besoins en interconnexions vont fortement augmenter, ainsi que les briques technologiques permettant de mettre en place des stratégies d’autoconsommation.
Mais, dans le même temps, le taux d’utilisation des réseaux électriques va connaître une baisse, provoquée par cette décentralisation de la production et cette autoconsommation. La demande pour les réseaux de transport, notamment, va fortement diminuer. La CRE met en garde sur ces dynamiques contradictoires et le risque qu’elles créent des actifs échoués.
Coordonner les investissements en production et les réseaux de transport
Pour cette raison et pour éviter une explosion des coûts de réseau, la CRE recommande de coordonner avec soin les investissements de production et les réseaux de transport, voire de distribution.
Dit autrement : avant d’ouvrir une ferme éolienne ou photovoltaïque, il faut anticiper les coûts en terme de transport et de distribution de cette électricité vers les centres de consommation. L’étude cite le cas des problèmes de congestion observés dans des systèmes où les actifs de production sont trop éloignés des zones de consommation.
L’Allemagne a connu ces problèmes avec l’éloignement de ses fermes éoliennes off-shore au nord du pays, la Chine encore davantage : la distance entre ses fermes éoliennes et solaire, située au nord et à l’ouest du pays, et de ses centres de consommation industrielle, à l’est et au sud, entraîne un rendement de ces équipements moitié moins efficace qu’aux Etats-Unis, de l’électricité gaspillée et des coûts élevés en congestion du réseau.
La flexibilité au cœur des mutations
Pour intégrer davantage de renouvelables intermittents et pour répondre aux écarts historiques entre production et consommation d’électricité, le recours à la flexibilité sera au cœur de la révolution du système énergétique, changeant à la fois la nature des réseaux et leur exploitation.
Ainsi, ces besoins en flexibilité seront majoritairement pourvus par des outils eux aussi décentralisés (solutions de stockage à court ou long terme, effacement, modulation de consommation, batteries de véhicules électriques, modulation de la production décentralisée) – ce qui nécessitera l’agrégation d’un grand nombre de points diffus.
Les gestionnaires de réseau de distribution deviendront de véritables opérateurs
Les gestionnaires de réseau de distribution deviendront ainsi de véritables opérateurs, responsables d’une gestion active du réseau et de l’organisation des marchés locaux de flexibilité : cette dimension a été largement anticipée, les solutions smart grids expérimentées un peu partout dans le monde prennent en compte ce paramètre essentiel.
Le métier de gestionnaire de réseau de distribution en sera profondément modifié, impliquant une présence au plus près des producteurs et des consommateurs, une planification et un pilotage à toutes les échelles, du quartier à la région. La CRE souligne qu’un des enjeux essentiels de cette mutation sera la coordination des réseaux de distribution et de transport dans l’exploitation et l’optimisation des sources de flexibilité.
Réussir la transition vers les smart grids, une nécessité pour réussir la transition énergétique
Si l’ensemble de ces défis sont relevés par les gestionnaires réseau, si la mutation vers les smart grids se passe sans encombre, les coûts seront maîtrisés et la transition énergétique sera une réussite, qui satisfera l’ensemble de la communauté.
Rendez-vous demain pour se pencher sur les autres thèses prospectives développées par l’étude, notamment sur le stockage, les micro-grids et la mutation des consommateurs vers des consomm’acteurs.