En matière de smart grids, la ville d’Issy-les-Moulineaux est enveloppée d’une aura particulière. Et pour cause, la commune des Hauts-de-Seine se positionne comme la première à avoir adopté un réseau d’énergie intelligent à l’échelle d’un quartier. C’était en 2012 et le pilote, répondant au nom d’Issygrid, a depuis essaimé un peu partout dans la ville. Ce statut de pionnière place Issy-les-Moulineaux comme le terrain d’expérimentation par excellence, permettant de se faire, avec le plus de recul possible, une idée de l’efficacité des smart grids, mais aussi et surtout de leur réception par le public. Première conclusion : pour que la technologie révèle tout son potentiel, il faut que les consommateurs en aient une approche ludique.

Rendre les données attrayantes

 

La différence fondamentale d’un smart grid par rapport à un réseau classique tient à la collecte et au partage de données que le premier orchestre. Equipé de technologies informatiques, il se propose de mettre en place une certaine interactivité avec le client final, afin que ce dernier puisse moduler sa consommation en fonction des contraintes du réseau, bénéficiant ainsi d’une électricité moins chère et moins polluante en pratiquant par exemple le lissage, ou en se tournant vers les EnR lorsqu’un coup de soleil (photovoltaïque) ou de vent (éolien) les perfuse en quantité dans le réseau.

Directeur de la division Grand Public et Opérateurs de Microsoft, l’une des sociétés à l’origine du système d’information Issygrid, Marc Jalabert explique :"Sans données, il n'y a ni information, ni intelligence, ni innovation. A partir du moment où l'information est disponible, on voit que les comportements changent et on peut commencer à l'optimiser à tous les niveaux, d'un bâtiment à la Région tout entière".

Problème, pour qu’un réseau intelligent soit efficace, il doit également être doué d’une autre qualité : celle de savoir communiquer avec le consommateur, de rendre recevable pour le plus grand nombre ces données. Comme le souligne le sociologue Stéphane Huguon, « la révolution smart grid ne se fera pas à l’insu du consommateur ». Autrement dit, si intelligent soit le réseau de demain, si chacun n’y met pas du sien, il lui manquera le facteur humain nécessaire à la bonne conduite de sa mission. Les données glanées doivent rencontrer leur public.

Le caractère incontournable du client, en impliquant chacun dans l’aventure, est une bonne chose. Mais pour ne pas que le déploiement des smart grids soit un énorme fiasco, seulement faut-il que les consommateurs aient envie de consulter ces données, données souffrant à l’état brut d’un manque d’attrait notable.

Pour y remédier, le consortium à l’origine d’Issygrid n’y est pas allé avec le dos de la cuiller. Il s’est associé à l’ENSCI et le Strate College, deux écoles de design ayant imaginé de nombreuses façons de rendre les données récoltées agréables à lire : applications pour tablettes et smartphones, ateliers de formation dans les écoles, « bulletin météo énergétique » à destination des habitants ou encore showroom virtuel en réalité augmentée.

Mais ce n’est pas tout.  A Issy-les-Moulineaux, Bouygues Telecom a également équipé un certain nombre d’immeubles d’un boitier de mesure et d’alerte, permettant à chacun d’avoir une visibilité précise sur sa consommation électrique, équipement par équipement, et de la comparer à celle de ses voisins. Une gamification – ou transfert des mécanismes du jeu vidéo dans la vraie vie – concluante, à en croire Martin Kaiser, en charge de la prospective chez Bouygues Telecom : « on constate que les clients ne se passionnent pas pour des mesures de kw/h avec des courbes. Mais ils se passionnent quand on les met en compétition", explique-t-il.

Effacement, recours aux EnR… des consom’ateurs sinon rien

L’effacement consiste à réduire sa consommation d’électricité durant les heures de pointe, afin de la reporter sur les heures creuses. L’objectif : bénéficier d’une électricité moins chère, puisque la nécessité d’installer de nouveaux moyens de production pour répondre à des pics de demande se trouve réduite. La technique ne peut être appliquée à l’insu des consommateurs, et il appartient donc à chacun d’entre eux de se tenir informé, et d’agir en conséquence.

Même constat les énergies renouvelables. Sous l’impulsion de son PDG Henri Proglio, EDF Energies Nouvelles vient d’inaugurer trois parcs éoliens en Languedoc-Roussillon. En multipliant les projets de ce type, la filiale d’EDF se démène pour faire en sorte que les EnR occupent une place de plus en plus importante dans le mix énergétique. Elle n’est pas la seule. L’industrie de l’énergie française dans son ensemble s’active pour que soient respectés les objectifs du paquet climat-énergie européen, dont l’un des principaux est de faire passer à 20 % la part des énergies renouvelables dans le réseau à l’horizon 2020. Un peu partout en France, des projets de centrales solaires ou de champs éoliens fleurissent.

La dynamique est bonne. Reste à donner au grand public les moyens de profiter de façon avantageuse des EnR, ayant mauvaise presse auprès d’une partie des Français en raison de leur coût. Les smart grids, on l’a dit, le permettent, en incitant les consommateurs à avoir recours aux EnR en cas de forte disponibilité, période durant laquelle elles sont meilleur marché. Seulement « inciter à » n’est pas « décider pour », et il y a de fortes chances que ces « conseils » ne soient pas suivis s’il ne sont pas… entendus. CQFD. On risque donc d’augmenter la capacité de production d’énergie « verte » en partie pour rien, une quantité non négligeable de cette énergie difficilement stockable partant en fumée si le client final « néglige » de l’utiliser.

Le projet Issygrid porte en germe les concepts qui devraient forger le nouveau rapport du public à sa consommation d’électricité : un rapport ludique, où consommer moins et mieux n’est plus vécu comme une privation mais presque comme un amusement. Le problème, c’est que si ce pilote a depuis fait des émules en France (GreenLys, Lyon Confluence, etc.) il faudra sans doute attendre plusieurs années avant que l’ensemble du territoire français ne puisse suivre et infléchir sa consommation à l’aide d’objets connectés, d’interfaces divertissantes.

Ce qui ne veut pas dire pour autant que rien n’est possible d’ici là. S’ils n’ont pas été conçus pour amuser la galerie, les compteurs communicants Linky, présentés comme les premières briques de la transition énergétique, permettront déjà de se faire une idée précise de nos besoins en électricité, et de la façon dont consommer mieux. Le fun en moins. Et c’est là que le bât blesse. S’ils ont été prévus pour que viennent s’y greffer divers objets connectés, en soi ils ne font que ce pour quoi ils sont programmés : délivrer l’information de façon directe. On peut craindre un manque d’intérêt du public pour ces données brutes. D’ici à ce que chaque foyer soit équipé d’appareils à même d’insuffler un peu de fraicheur et d’originalité à ces courbes et chiffres austères, on devra donc s’en remettre aux actions pédagogiques des acteurs publics et privés de l’énergie. Il leur appartiendra de convaincre l’opinion de l’intérêt de se pencher d’un peu plus près sur ces données. Pas une mince affaire, mais à l’impossible nul n’est tenu.  

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