Si Helsinki s’impose comme une des grandes réussites mondiales en terme de smart city, la ville développe, dans le nouvel éco-quartier de Kalasatama, une vision encore plus ambitieuse, participative et durable. Présentation.
Nous avons vu, dans la première partie de notre étude, comment Helsinki avait su développer une stratégie smart city cohérente, convaincante et efficace, portée par le double objectif d’atteindre une exemplarité énergétique et de devenir la ville la plus fonctionnelle du monde. Un quartier résume et prolonge encore plus loin cette stratégie : Kalasatama (qui signifie « port de pêche » en finnois).
Un éco-quartier qui accueillera 25 000 habitants en 2030
Situé au nord-est d’Helsinki, ce district de 175 hectares est en plein travaux, il se couvre progressivement d’immeubles. Pour l’heure, les premiers bâtiments d’habitation accueillent environ 3 000 habitants, mais, à l’achèvement de ce projet urbain, en 2030, ils seront 25 000 habitants et 10 000 salariés, pour 1 000 000 m2 de logement et 390 000 m2 de bureaux.
Le quartier sera ainsi particulièrement dense et comportera huit tours de 20 à 37 étages, qui seront les premiers gratte-ciels d’Helsinki – un des rares aspects de ce projet qui a provoqué un débat et une controverse, les Finnois n’étant pas friand de grands buildings. Mais leur éloignement du centre historique et la volonté de créer un véritable quartier de vie, avec commerces, écoles, lieux de loisir, restaurants, etc., ont fini par emporter l’adhésion.
Smart grids, photovoltaïque, efficacité énergétique maximale et neutralité carbone
Cet éco-quartier répond aux normes les plus exigeantes en terme d’efficacité énergétique et de ville durable. Chaque bâtiment doit s’équiper de panneaux photovoltaïques et être connecté au smart grid de Kalasatama, qui permettra de mutualiser l’électricité produite et consommée par l’ensemble des bâtiments. Les bâtiments déjà achevés doivent produire au moins 30% de leur énergies cette année : mais l’objectif, quand le quartier sera terminé, en 2030, est que chaque bâtiment atteigne la neutralité carbone.
Tous les bâtiments du district doivent par ailleurs être connectés au réseau urbain de chauffage et de climatisation alimenté par de gigantesques pompes à chaleur récupérant l’énergie des eaux usées de la ville : la centrale souterraine de Katri Vala, la plus grande au monde de ce type, jouxte directement Kalasatama.
Un quartier qui veut se « centrer sur l’humain, la qualité de vie, les usages »
Mais l’originalité de ce quartier (et de la démarche smart city d’Helsinki) n’est pas là : « Nous ne voulons pas juste faire des économies d’énergie : nous voulons nous centrer sur l’humain, la qualité de vie, les usages, créer un esprit de communauté », explique Veera Mustonen, membre du Forum Virium, le département d’innovation d’Helsinki qui accélère la mise en œuvre de la smart city.
L’obsession de Kalasatama est bien là : chaque projet et chaque innovation doivent être pensés pour améliorer le bien-être de la population, et sont développés en collaboration avec elle. Cet esprit de co-création anime la création de ce smart district, en refusant l’écueil des villes intelligentes qui développent plateforme et agrégation de données, sans penser aux usages.
Kalasatama, une co-création dans un partenariat « public-privé-population »
« C’est un partenariat public-privé-population : nous sommes là pour accompagner les grands groupes, les start-up, faciliter leurs expérimentations, les mettre en relation avec les services de la Ville, les centres de recherche, mais en incluant toujours les citoyens, qui sont cocréateurs et testeurs de toutes les innovations », détaille Veera Mustonen.
Sur les 3 000 habitants que compte actuellement Kalasatama, un millier d’entre eux ont déjà participé à l’un des 25 programmes pilotes mis en place par le Forum Virium depuis deux ans. Le principe est de proposer aux habitants de tester en conditions réelles des solutions proposées par les start-up : application de pilotage de l’énergie, plate-forme de partage de la nourriture pour éviter le gaspillage, application de coaching sportif, autopartage de véhicules électriques, bague connectée pour surveiller la tension, etc.
Un parc de logements modulables, offrant aux habitant la possibilité de construire leur propre projet
Le programme de construction lui-même a été pensé pour que les habitants se l’approprient. Chaque immeuble de logements comporte des appartements de taille et de standing variés, afin d’assurer une mixité sociale et générationnelle ; les cœurs d’îlots entre chaque immeuble sont des jardins et parcs de jeux d’enfants partagés, ouverts à tous les habitants du quartier.
La ville a même laissé un certain nombre de parcelles libres et les a réservées à des coopératives d’habitants, afin qu’ils définissent ensemble leur propre projet. Six d’entre eux sont déjà construits ou à l’étude : c’est le cas d’une résidence pour personnes âgées, nommée Kotisatama, qui a été conçue et pensée par les 80 personnes qui y habitent actuellement.
« Nous avons travaillé pendant quatre ans à définir les espaces communs et les appartements avec un architecte. Ici, il n’y a pas de directeur ni d’employés, ce n’est pas une maison de retraite ! » raconte, enthousiaste, Marjut Helminem, une écrivaine qui s’est installée à Kotisatama. Le lieu fonctionne en effet sur le principe de la communauté, où l’ensemble des charges collectives (repas, entretien, réparation) sont assurées à tour de rôle par les résidents, en fonction de leurs capacités. Kotisatama possède même une chambre d’hôte, permettant aux résidents de recevoir régulièrement des voyageurs, et d’arrondir les fins de mois de la résidence.
Le partage comme leitmotiv, des espaces de vie aux parkings – et jusqu’à l’école !
L’ensemble du quartier fonctionne d’ailleurs sur le principe du partage des espaces, publics ou privés. Un système de clés numérique ou d’application permet permet d’accéder à un grand nombre de lieux en fonction de ses besoins. Ainsi tous les parkings peuvent être utilisés par des utilisateurs non résidents, les places sont mutualisés et les véhicules électriques partagés.
La majorité des immeubles résidentiels sont équipés, en rez-de-chaussée, de cuisines communes, de salles polyvalentes, d’espaces de co-working, que les habitants peuvent réserver, à l’heure ou à l’a journée. Les équipements publics pourraient bientôt être concernés, et certains espaces de l’école, par exemple, pourront prochainement utilisés par les habitants en dehors des heures de cours : « On a pris l’habitude de résoudre tous les problèmes en faisant couler du béton, mais en réalité il faut penser en termes de besoins et de services, donc de partage », expose Juhana Harju, qui dirige l’association des résidents de Kalasatama.
Cette nouvelle façon d’envisager la ville et le rapport à l’urbanisme, dans une démarche durable et collaborative, est exemplaire de ce qu’une smart city doit offrir à la collectivité et à ses habitants.