L’Union Européenne repousse l’interdiction de l’huile de palme dans les biocarburants de 2021 à 2030 ; les paysans français sont vent debout face à la nouvelle bioraffinerie de Total, accusant le gouvernement français de favoriser l’huile de palme pour atteindre ses objectifs en terme de biocarburants. L’actualité récente démontre la place problématique qu’a prise l’huile de palme, dont l’essor provoque de graves déforestations dans le monde, dans le paysage des biocarburants. Analyse.

Les biocarburants sont une composante ambigüe de la transition énergétique : dans le cadre d’une agriculture durable et raisonnée, de préférence biologique et limitant les engrais et pesticides, produire des céréales ou des oléagineux afin de les transformer en carburant est une énergie renouvelable.

Mais, produit dans le cadre d’une agriculture qui déforeste et appauvrit les sols un biocarburant peut s’avérer un remède bien pire que le mal.

L’huile de palme encourage un désastre écologique et climatique

C’est ce qui est reproché à l’huile de palme : sa culture intensive pour l’incorporer dans l’essence provoque de graves déforestations en Asie du Sud-Est, notamment en Indonésie et Malaisie, deux des plus grands producteurs mondiaux. En intégrant, de plus, le changement d’affectation des terres qui passent actuellement du rang de tourbières ou de cultures vivrières à celui de plantation, le bilan écologique (et climatique) de l’huile de palme est désastreux.

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Une étude commandée par la Commission Européenne en 2016, menée par l’International Institute for Applied Systems Analysis, montre que les émissions provoquées par l’usage de l’huile de palme peuvent se révéler trois fois plus importantes que celles du diesel !

La France limite-t-elle réellement l’importation d’huile de palme ?

Cela explique que le gouvernement français ait déclaré vouloir limiter l’utilisation de cette huile importée dans la production de biocarburants français. Nicolas Hulot, ministre de la transition écologique et solidaire, dans une volonté de lutter contre « la déforestation importée », a milité publiquement pour l’élaboration d’une stratégie nationale pour cesser d’utiliser, en France, des « produits forestiers ou agricoles importés contribuant à la déforestation ».

Or, c’est pour l’instant le contraire qui se produit, à la grande colère des agriculteurs français. Trois syndicats, représentant les producteurs de blé (AGPB), de maïs (AGPM) et de betteraves (CGB) ont dénoncé début juillet 2018 dans un communiqué le « double langage du gouvernement » : « Les chiffres d’incorporation de biocarburants 2017 viennent d’être communiqués : l’huile de palme incorporée aux essences a progressé de 36 % en 2017 » dénoncent les syndicats.

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Syndicats agricoles et ONG environnementales main dans la main

En effet, si la France a atteint l’objectif fixé en 2016 d’un remplacement de l’essence par les biocarburants à 7,5% en 2017, « la hausse a essentiellement profité aux biocarburants dérivés d’huile de palme importée, issue de pays n’appliquant pas nos normes » pointent les trois syndicats. « Les biocarburants de palme ont explosé, passant de 0,14 % en 2014 à 1,2 % en 2017 », alors « que la part de l’éthanol français est restée stable à 5,7 % (en volume dans l’essence) ».

Ce communiquée prend le relai de la vague de protestations des mois de mai et juin 2018 contre l’ouverture de la bioraffinerie de La Mède par Total, qui devrait être mise en service cet été, et utilisera 50% d’huile de palme importée pour produire du biocarburant !

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Un non-sens écologique et un non-sens pour l’agriculture française, qui a généré une alliance, a priori paradoxale, entre les principaux syndicats agricoles français et des ONG environnementales, qui défendent d’une même voix une production de biocarburants favorisant les cultures responsables : « le gouvernement a récemment indiqué qu’il souhaitait réduire l’utilisation d’huile de palme soupçonnée de causer la déforestation ; or c’est exactement le contraire qui se passe et l’ouverture de l’usine de La Mède laisse présager un doublement potentiel de l’incorporation de ces produits », accusent les syndicats.

Une question au cœur de la nouvelle directive énergie propre de l’UE

Cette question était également au cœur des débats entre les représentants du Parlement Européen et du Conseil Européen sur la révision de la directive sur les énergies renouvelables, en juin 2018 : au-delà des objectifs en terme de part d’EnR dans le mix énergétique (relevés, rappelons-le, à 32% d’ici 2030), l’Union Européenne devait se prononcer clairement sur la place de l’huile de palme dans les biocarburants.

Le Parlement Européenne militait pour faire interdire l’usage de l’huile de palme dans l’essence dès 2021. « La croissance ne peut venir que de carburants avancés durables tels que les biocarburants à base de déchets, et non des cultures vivrières » défendait Laura Buffet, chargée de campagne pour Transport et environnement.

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Une interdiction repoussées de 2021 à 2030…

Les Etats membres, dont les gouvernements sont représentés par le Conseil Européen, souhaitent défendre les industriels et les agriculteurs lancés dans cette filière, et leur laisser le temps de basculer vers des alternatives. La nouvelle directive prévoit donc pour 2021 un gel de l’utilisation de l’huile de palme dans les biocarburants à son niveau de 2019, puis une diminution progressive à partir de 2023. L’interdiction totale ne surviendra qu’en 2030.

Ce compromis est vécu comme un échec pour de nombreuses ONG, qui dénoncent les hectares de forêts qui vont être détruites entre 2021 et 2030 pour répondre aux besoins des industriels européens. Mais certains veulent voir le verre à moitié plein : « Le plus important est d’avoir un signal politique clair : on va vers la fin des agrocarburants à base d’huile de palme et de soja », a déclaré le député vert luxembourgeois Claude Turmes.

Le sens de l’histoire ne penche pas vers l’huile de palme ; mais sa rentabilité, à court terme, continue d’encourager son utilisation désastreuse, à la matière des combustibles fossiles. Une belle illustration des enjeux industriels et économiques qui ralentissent et parfois embourbent l’avènement d’une réelle transition énergétique mondiale.

 

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