Le Médiateur national de l’Energie consacre sa Lettre n°27 au déploiement des compteurs communicants Linky. Il y regrette notamment que ces derniers ne permettent pas encore aux consommateurs de gérer leur consommation dans des conditions optimales. Des propos repris à son compte par Stéphane Lhomme, opposant au compteur et militant antinucléaire qui, interrogé sur TF1, s’en est réclamé pour conclure à l’inutilité de Linky.
Nous avons souhaité, dans un premier temps, revenir sur ce point avec le Médiateur. Linky n’est-il qu’une coquille vide ? Voici ce que ses équipes nous ont répondu : « Le médiateur est favorable au projet des compteurs communicants. Les polémiques soulevées par les associations anti-Linky sur les ondes n’ont, de son point de vue, pas lieu d’être, compte tenu des résultats des études réalisées par l’ANFR et l’ANSES ; idem pour la protection des données, très encadrée par la CNIL.
Ces compteurs communicants sont utiles pour la gestion du réseau, la réalisation d’opérations à distance et une facturation plus précise car basée sur des relevés plus fréquents. En revanche, ils n’apportent pas, pour l’instant, tous les bénéfices possibles en termes de suivi de la consommation pour une meilleure maitrise de celle-ci. »
Sur ce dernier point également, nous avons voulu en savoir plus. Jean Gaubert, Médiateur de l’Energie, a répondu à nos questions.
Dans votre dernière Lettre, publiée en mai, vous vous dites convaincu de l’intérêt des compteurs communicants, mais vous émettez quelques réserves.
Ce n’est pas parce qu’on pense que ça a de l’intérêt que pour le moment on a les résultats qu’on attendait…
Vous évoquez notamment le dispositif de suivi en temps réel en euros, qui ne sera déployé que pour les bénéficiaires du dispositif Chèque énergie, et pas avant 2018.
On espère qu’il sera déployé, parce qu’on n’a pas le sentiment qu’il y a un grand enthousiasme. Depuis que la loi a été votée – ça fait quand même plus d’un an et demi – j’ai vu plus de gens qui disaient que c’était infaisable alors que les Britanniques, par exemple, l’ont fait. Le mieux, selon moi, aurait été que l’opérateur de réseau s’en charge, parce qu’il est unique, et c’est sa partie, qu’il aurait été rémunéré d’une certaine façon pour le faire.
La technologie est-elle au point ?
Il n’y a qu’à aller voir les fabricants. Ils savent tous faire ça. En Ille-et-Vilaine, près de chez moi, le spécialiste de la domotique Delta Dore sait faire, mais Siemens également. Le problème n’est pas là. C’est un enjeu de pouvoir et un enjeu économique. Et de fidélisation des clients. J’aurais souhaité – mais malheureusement on ne m’a pas écouté – que ce soit l’opérateur de réseau qui puisse le fournir, et que ce soit un prolongement du compteur.
Vous déplorez que seules 2% des personnes chez qui le compteur a été installé aient créé un compte d’accès à leurs données de consommation. Pourquoi selon vous ?
Je ne suis pas un technicien. Je ne sais pas d’où vient le problème. Toujours est-il que mes collaborateurs et moi-même avons essayé d’ouvrir un compte : je peux vous garantir qu’il faut un certain niveau pour y arriver. En l’état actuel des choses, l’ouverture de ce compte n’est pas assez intuitive, et requiert de s’armer de patience.
Vous restez malgré tout convaincu de l’intérêt du compteur ?
Je souhaite que le compteur soit un vrai outil de gestion – il en a les moyens technologiques. Faut-il encore que le promoteur en ait l’envie.
Concernant les données personnelles, de nombreuses pressions ont ralenti le processus d’innovation. On a réussi à faire peur à nos concitoyens alors qu’en réalité, les données personnelles électriques sont parfaitement inoffensives par rapport à d’autres données, bien plus sensibles, que les gens cèdent tous les jours sans se poser de questions. Une simple carte de fidélité de supermarché, par exemple, renseigne sur tout ce que vous avez acheté, et permet de vous envoyer des sollicitations ultra-ciblées par mails, mais ça ne pose de problème à personne. De la même manière, quand vous réservez un hôtel sur Google, dans les heures qui viennent, vous recevez un tas d’offres dans le même secteur.
Il est désirable que le consommateur puisse avoir les moyens de suivre sa consommation, et donc de tirer des bénéfices de l’opération, tout en ayant en parallèle la garantie que ses données personnelles sont bien sécurisées. Sécurisées mais accessibles. Si je veux, en fonction de mon profil, demander à un opérateur de me faire une offre personnalisée, comment peut-il la faire si je ne suis pas en mesure de lui fournir ma courbe de consommation ?
Quel intérêt immédiat Linky a-t-il pour le consommateur ?
Pour l’instant le seul véritable avantage c’est qu’il pourra voir des factures qui seront précises. Il n’y aura plus de phénomène de rattrapage, où le consommateur se retrouve avec des factures élevées qu’il ne sait comment gérer.
En termes de gestion du logement et de la consommation, les résultats ne sont en revanche pas au rendez-vous pour l’instant. Je peux espérer que ça viendra, mais c’est mon rôle aussi d’attirer l’attention là-dessus, parce que si je ne le fais pas, je ne suis pas sûr que beaucoup de gens le feront.
Que répondez-vous à Stéphane Lhomme qui, interrogé sur TF1, a conclu à la nullité du compteur en se fondant sur le contenu de votre dernière Lettre ?
Monsieur Lhomme n’est pas un grand spécialiste de l’honnêteté intellectuelle. Jamais le Médiateur n’a dit que le compteur ne servait à rien, il a dit qu’il devait servir à davantage. Je n’ai jamais rien écrit qui dise qu’il ne fallait pas déployer de compteur communicant, mais simplement qu’il fallait l’enrichir de compétences. Il faut déployer le compteur, bien évidement. Ne serait-ce que pour l’opérateur – mais ça concerne aussi le consommateur – s’il y a des défauts sur le réseau, il sera renseigné beaucoup plus vite, pourra intervenir plus rapidement.
Monsieur Lhomme s’est conduit comme un « malpoli » en disant « vous voyez, le médiateur de l’énergie rejoint notre position ». Jamais, très clairement. Je ne veux pas être associé à cette campagne de dénigrement et de malhonnêteté intellectuelle menée par certains.
Pour conclure, Linky est un outil nécessaire, mais pas encore optimum ?
Il est technologiquement au point, mais un certain nombre de retards et de complications dans la partie service au consommateur risquent de nuire à sa « réputation ».
Propos recueillis par Thierry Legrand