Alors que la France poursuit l’installation de son compteur d’électricité intelligent Linky, on peut s’interroger sur l’attitude des autres pays de l’Union Européenne face à la directive qui prévoyait une généralisation de ces compteurs d’ici 2022. Et ce qui frappe est la grande disparité d’avancement des projets, entre ceux dont le déploiement est achevé (Suède, Italie), avec de réels bénéfices, et ceux qui traînent des pieds, Allemagne en tête. Tour d’horizon.
En septembre 2009, l’Union Européenne avait fixé aux Etats membres l’objectif de développer des compteurs intelligents dans 80% des foyers européens avant 2020, et dans 100% avant 2022.
Cette décision faisait partie intégrante du fameux objectif des « trois fois 20 » fixé à l’époque pour la Commission pour combattre le changement climatique d’ici à 2020 : augmenter de 20 % la proportion des sources renouvelables dans le mix énergétique ; diminuer de 20 % les émissions de gaz à effet de serre ; améliorer l’efficacité énergétique de 20 %.
Objectif de l’Union Européenne en 2009 : 100% de foyers équipés en 2022
A cinq ans de la date où 100% des foyers devraient être équipés, un point peut être fait. Première certitude : cet objectif des 100% de sera pas atteint. Seconde constatation : l’avancée du déploiement est extrêmement variable d’un pays à l’autre. Globalement, les pays d’Europe Occidentale, au réseau plus ancien et plus fiable, ont été d’emblée les plus sensible à l’intérêt des compteurs intelligents et des smart grids de façon plus générale.
Localisation des projets smart grids dans l’Union Européenne entre 2001 et 2014
Qu’est-ce qu’un compteur intelligent ?
Un compteur d’électricité intelligent, ou communicant, dispose de technologies AMR, pour « Automated Meter Reading » (Lecture automatisée du compteur) qui permet une mesure détaillée, précise et en temps réel de la consommation d’électricité. La transmission de ces données se fait, par ondes radios ou courants porteurs en ligne, vers le gestionnaire du réseau.
Les avantages immédiats sont des factures sur la consommation réelle, un repérage des gaspillages, des pertes en ligne ou des postes électriques qui coûtent le plus au client : le compteur intelligent permet ainsi à l’usager de mieux connaître – et donc mieux maîtriser – sa consommation électrique. Ce type de compteur est également beaucoup plus efficace pour repérer et identifier les pannes et microcoupures, ainsi que les fraudes.
Une généralisation des compteurs intelligents offre également une baisse des coûts de facturation, des coûts de gestion des clients, des fraudes sur les compteurs, des appels au service client, des coûts de vérification des compteurs, des coûts de recherche de panne sur le réseau. Au final l’électricité pourra être proposée à un meilleur tarif et surtout mieux adapté au besoin du client.
Le compteur intelligent est également indispensable à l’intégration maximale dans le réseau des énergies intermittente, éolien et photovoltaïque en tête. D’une part parce qu’il permet d’avoir une vue extrêmement précise sur la consommation électrique d’un quartier ou d’une ville en fonction du temps et donc adapter le mix énergétique à ces données – par exemple recharger tous les systèmes publics de batterie quand de l’électricité est produite en surplus ou mener des politiques d’incitation par le prix à utiliser l’énergie quand elle est la plus abondante.
D’autre part parce qu’il peut adapter la facturation et même la consommation d’un client à la production électrique, en temps réel. Par exemple, l’eau chaude d’un ballon pourra être chauffé au moment précis où l’électricité est la moins chère, il pourra proposer de lancer une machine à laver ou un lave-vaisselle au moment de la journée où la production d’énergie intermittente est la plus forte sur le réseau local, etc.
Cela permettra à la fois d’augmenter la part des énergies intermittentes dans le mix énergétique, d’augmenter leur rentabilité et, mécaniquement, de faire baisser la facture du consommateur.
Quel état d’avancement en Europe ?
Aujourd’hui la majorité des Etats membres de l’Union se sont engagés, comme la France, dans un déploiement des compteurs électriques intelligents, avec, pour la plupart, un objectif de fin à l’horizon 2020. C’est le cas notamment du Royaume-Uni, qui poursuit l’installation malgré le Brexit, de l’Espagne, du Danemark, des Pays-Bas ou de la Grèce.
L’Italie et la Suède sont les seuls pays à avoir d’ors et déjà achevé cette installation sur l’ensemble du territoire. D’autres, comme l’Allemagne, la Slovaquie ou la Lettonie ont décidé d’un déploiement partiel, suite à une analyse coût / avantage négative. Quelques-uns se sont enfin positionné contre ce déploiement, à cause d’une analyse coût / avantage négative, comme le Portugal, la Belgique ou la République Tchèque.
Le cas particulier de l’Allemagne
L’Allemagne est le premier consommateur d’électricité dans l’Union Européenne et l’un des pays où les tarifs de l’électricité sont les plus chers : déterminé à réussir sa transition énergétique, le pays mise fortement sur les smart grids, mais a estimé que les compteurs intelligents n’étaient pas, à l’échelle du pays, une solution intéressante, tout du moins en la généralisant.
Les dirigeants ont donc fait le choix d’un déploiement partiel : les compteurs intelligents ne seront obligatoires que pour les bâtiments neufs ou rénovés depuis 2010, et pour les bâtiments où l’intérêt d’un compteur communicants est crucial, ceux dont la consommation d’énergie est supérieure à 6000 kWh ou les installations d’énergies renouvelables supérieures à 7 kW.
Quel bilan pour les pays équipés à 100 % ?
A l’opposé de cette politique frileuse se trouvent les deux « bons élèves » de l’Europe, l’Italie et la Suède. L’Italie a été le premier pays à déployer des compteurs nouvelle génération : dès 2001, Enel, la société italienne d’électricité, privatisée depuis 1999, a commencé l’installation de 30 millions de compteurs intelligents sur l’ensemble du pays, dans le cadre du projet Telegestore. Il permet au consommateurs de bénéficier d’offres tarifaires variées, s’adaptant à leur consommation.
L’investissement de 2,1 milliards d’euros a déjà été rentabilisé par Enel grâce à la réduction de la fraude, tout en offrant des économies d’exploitation de plusieurs centaines de millions d’euros par an. La population apprécie ce nouveau moyen de contrôler sa consommation électrique : en effet un client peut réclamer à tout moment et changer à distance ses conditions de facturation, son plan de crédit de pré-paiement, son montant forfaitaire ou ses tarifs.
La Suède, de son coté, a commencé à installer des compteurs communicants en 2003, la population étant séduite à l’idée d’une facturation mensuelle basée sur la consommation réelle. 5,3 millions de compteurs ont été installés, 99% de la population est équipée, avec un fort taux de satisfaction. Cela confirme le leadership suédois sur la question des villes intelligente, Stockholm étant considérée comme l’une des plus belles réussites de transformation d’une ville en ville intelligente – au point que l’Inde elle-même a demandé conseil à la Suède pour développer ses smart cities.
Des résultats encourageants pour l’avenir
Aujourd’hui la majorité des Etats membres ayant accepté le déploiement total devraient atteindre leurs objectifs pour 2020 et 2022. Les Etats ayant achevé ce déploiement prouvent son efficacité, tant pour la population que pour les gestionnaires d’énergie. Dans l’optique d’une transition énergétique qui va s’accélérer en Europe dans les années à venir, cette généralisation des compteurs communicants est un atout dont saura profiter l’Union Européenne.