Un récent rapport sur le manque de compétitivité de l’énergie nucléaire a relancé le vieux débat entre les défenseurs farouches et les opposants farouches de l’atome en France, sur fond, pour les premiers, de dénigrement généralisé des énergies renouvelables. Alors qu’aujourd’hui, l’objectif est bien d’investir massivement dans les renouvelables et la modernisation du réseau électrique ; la sortie du nucléaire en sera, progressivement, une conséquence, pas l’objectif premier.

Est-il possible de tenir un discours médian et raisonné sur la question du nucléaire en France ? De sortir enfin de la logique « Atome = caca » vs « l’atome ou la bougie » ? Et d’envisager, de manière pragmatique, un avenir énergétique vert, durable et économiquement viable pour la France, en partant de la situation actuelle, où plus de 70% de l’électricité française est d’origine nucléaire ?

Un rapport soulignant la perte de vitesse du nucléaire…

Début septembre 2018, le rapport World Nuclear Industry Report Status 2018 a relancé la vieille opposition. Le texte est riche d’enseignements : il indique clairement que le nucléaire n’est plus une énergie d’avenir, surtout face à l’émergence des énergies renouvelables. Les dynamiques de ces deux énergies sont radicalement opposées : la production nucléaire a augmenté de 1% en 2017, contre 17% pour l’éolien et 35% pour le solaire

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Autres chiffres parlant : les 413 réacteurs nucléaires en service dans le monde représentent une puissance installée de 363 GWe, quand l’éolien a passé le cap des 500 GWe et le solaire celui des 400 GWe. Les investissements 2017 pour les EnR atteignent les 300 milliards de dollars, contre 10 milliards pour le nucléaire.

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…écrasé par le dynamisme des EnR

« Le nucléaire, qui ne représentait plus que 10,3% de l’électricité produite dans le monde l’an dernier contre 17,5 % en 1996, tend à devenir insignifiant par rapport aux énergies renouvelables» souligne Mycle Schneider, coordinateur du rapport, et proche des milieux anti-nucléaires. Mais l’Agence Internationale de l’Energie Atomique elle-même anticipe une baisse de 10% des réacteurs dans le monde d’ici 2030.

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La perte de vitesse du nucléaire s’explique certes par l’impact de la catastrophe de Fukushima, après Tchernobyl, ou par la conscience de la dangerosité de ses déchets. Mais sa baisse de rentabilité économique est la principale raison. Le nucléaire n’a plus le vent en poupe car il n’est plus rentable face aux EnR.

La France s’appuie encore sur une électricité largement nucléaire

En France, la situation est plus nuancée et compliquée, car le nucléaire représente encore 71,6% de l’électricité française, une part considérable, qui fait de la France un des bons élèves de l’Europe en matière d’émissions de gaz à effet de serre, mais qui explique aussi les retards français dans le déploiement des EnR à très grande échelle.

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Sitôt le rapport publié, la sempiternelle guerre médiatique était relancée. Les anti-nucléaires ont sauté sur l’occasion pour demander la fin du programme nucléaire français et ce, le plus vite possible.

Absurde rhétorique anti-EnR et anti-exemple allemand

Mais les pro-nucléaires, attaqués par le rapport, ont été les plus virulents. Un nouvel angle d’attaque est d’ailleurs à la mode : fustiger les EnR, en expliquant qu’elles ne sont pas si vertes que ça. Une éolienne nécessite du béton, de l’acier, de l’énergie pour la construire, elle perturbe les écosystème et gâche les paysages : tel est le nouveau mantra des pro-nucléaires.

Avec, en point d’orgue, une dévalorisation de l’exemple allemand, en train de sortir du nucléaire, avec une volonté politique forte de valoriser les EnR : « Malgré plus de 400 milliards d’euros investis dans les énergies renouvelables, l’Allemagne n’a pu que stabiliser ses émissions de CO2 (500 g/kWh alors qu’en France ils sont 10 fois inférieures à 50g/kWh). La majorité de son électricité est toujours produite avec du gaz et du charbon… et aussi encore 15 % de nucléaire avec un prix de vente aux particuliers qui est le double du prix en France. Son orientation franche et massive dans les énergies renouvelables est un échec ! » écrit ainsi Michel Gay dans Contrepoint.

Le programme d’EnR de l’Allemagne est tout sauf un échec

Les chiffres sont justes. La conclusion est totalement fausse. L’Allemagne s’est lancé dans un développement à grande échelle des EnR, c’est vrai ; elle a décidé de sortir du nucléaire peu de temps après, c’est également vrai. Dés lors, les autorités ont choisi, pour chaque nouveau MW renouvelable installé, de fermer en priorité les centrales nucléaires plutôt que les centrales à combustibles fossiles.

Le pays aurait pu choisir de garder son parc nucléaire et d’abandonner prioritairement les combustibles fossiles ; dans ce cas, l’Allemagne aurait considérablement baissé ses émissions de CO2.

Le pays a fait un autre choix, que l’on peut discuter, mais les faits sont là : entre 2000 et 2018, l’Allemagne est passé de 3% d’électricité renouvelable à 40%. Mieux, les émissions de gaz à effet de serre ont, tout de même, baissé : entre 2010 et 2017, la production d’électricité nucléaire a chuté de 64 TWh, celle des renouvelables a fait un bond de 113 TWh et celle des fossiles a reculé de 28 TWh.

L’urgence, pour la France, est d’investir massivement dans les EnR et les smart grids

Dès lors, il serait peut-être temps de regarder la réalité en face. L’avenir est à une électricité 100% renouvelable. C’est vrai d’un point de vue environnemental et économique. Tous les pays du monde avancent dans cette direction, plus ou moins vite. L’électricité fossile et le nucléaire sont des énergies du passé.

L’important pour un pays comme la France est d’enfin investir largement dans les EnR et les smart grids : l’urgence absolue est d’augmenter drastiquement la capacité renouvelable du pays : «Si la France a fait un effort comparable dans le nucléaire dans les années 70-80, elle peut le faire aujourd’hui dans les renouvelables » pointe avec justesse Gérard Magnin, ancien ingénieur d’EDF.

Une sortie du nucléaire douce, progressive, proportionnée au développement des EnR

Mais la France n’est pas obligé d’abandonner immédiatement l’énergie atomique, ce qui imposerait d’ouvrir des centrales au gaz ou au charbon. Le calendrier de la sortie du nucléaire ne doit pas être un objectif, mais une conséquence de la politique ambitieuse de développement des EnR. Laissons les réacteurs en place achever leur vie, fermons-les sans les prolonger – ou ne les prolongeons que si leur fermeture risque d’imposer la construction de centrales au gaz.

La pays n’a aucun intérêt à continuer d’investir dans le nucléaire, la modernisation du réseau électrique et sa conversion aux smart grids sont bien plus importants : ils permettront d’augmenter la part d’EnR intermittentes dans le mix énergétique, et offrirons des économies d’électricité conséquentes. Le nucléaire appartient au passé, mais il a encore son utilité dans notre présent et notre avenir proche. Ce discours devrait pouvoir être, enfin, audible.

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