Alors que le projet transnational Desertec, qui prévoyait de couvrir le Sahara de centrales solaires et d’éoliennes pour alimenter Afrique et Europe, est bel et bien ensablé, une étude récente pointe une vertu supplémentaire de l’installation de renouvelables à très grande échelle : elle pourrait ramener la végétation dans ce vaste désert. Décryptage.

Lancé en 2009, le projet Desertec était d’une incroyable ambition. Une fondation avait été créée, afin de construire, en 40 ans, un vaste réseau de centrales solaires (essentiellement à concentration mais aussi photovoltaïques) et d’éoliennes sur les pourtours du Sahara, en Afrique du Nord et au Moyen Orient, autours de la Méditerranée.

Desertec : un projet pharaonique enlisé dans les sables du Sahara

Ce projet proprement pharaonique prévoyait, à terme, de couvrir l’ensemble des besoins énergétiques de l’Afrique du Nord et d’exporter le surplus en Europe, afin d’y couvrir 20% des besoins en électricité.

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Mais le projet s’est rapidement enlisé dans les sables du désert, frappé de plein fouet par la crise économique mondiale, l’instabilité politique en Afrique du Nord (Tunisie, Libye, Egypte), les conflits aux Moyen-Orient, l’abandon de plusieurs industriels phares, comme Bosch ou Siemens, et de fortes dissensions internes. En juin 2013, le consortium industriel partenaire de la fondation annonçait son sabordage pur et simple.

La fondation s’est lancée dans les micro-grid, le Maroc dans les EnR à grande échelle

Restée seule, la fondation Desertec a muté, et s’est totalement réinventée. Changement d’objectifs et d’échelle : elle vise à électrifier des villages d’Afrique saharienne et subsaharienne grâce aux énergies renouvelables, notamment photovoltaïques, en s’appuyant sur des micro-grid. Une belle initiative, qui rencontre de vrais succès.

Mais cette belle idée de valoriser à très grande échelle le potentiel EnR du Sahara, qu’est-elle devenue ? Enlisée, elle aussi ? Certains Etats, le Maroc en tête, se sont lancés dans des politiques EnR ambitieuses : le Royaume est en train de se couvrir de centrales éoliennes, photovoltaïques et solaire à concentration. Mais aucun projet transnational n’est actuellement en cours.

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Le Sahara pourrait produire assez d’électricité renouvelable pour le monde entier

Une étude de la revue Science, datée de septembre 2018, vient de relancer l’intérêt pour un projet de cette envergure. Menée par une équipe d’universitaires américains et chinois, elle confirme le potentiel considérable de la zone désertique allant du Sénégal à Djibouti, englobant le Sahara et le Sahel. L’ensemble de ce territoire peut suffire à produire assez d’électricité pour répondre à la demande mondiale actuelle. Chiffre purement théorique, bien entendu, puisqu’il n’est pas question que l’Australie ou l’Amérique du Sud consomment une électricité produite au Sahara.

Pour autant, la zone permettrait à elle seule clairement de couvrir les besoins énergétiques de l’Afrique, du Moyen-Orient et de l’Europe. En visant plus modestement, elle pourrait rendre des régions entières autonomes énergétiquement, et soutenir des économies locales encore extrêmement fragiles.

C’est notamment le cas du Sahel, une des régions les plus pauvres de la planète : « Des investissements importants dans la production solaire et éolienne [dans le désert du Sahara] pourraient favoriser le développement économique du Sahel, l’une des régions les plus pauvres du monde, et fournir une énergie propre pour faciliter le dessalement et la fourniture d’eau pour les villes et la production alimentaire » notent les auteurs de l’étude.

Eoliennes et panneaux photovoltaïques réchauffent le sol…

Mais les panneaux photovoltaïques et les éoliennes, installés à très grande échelle, pourraient avoir un autre avantage, de taille : celui de ramener pluies et végétations dans le désert ! Pour une raison assez simple : ces outils phares de la lutte contre le réchauffement climatique ont tendance à… réchauffer le sol !

Les panneaux photovoltaïques augmentent le frottement en surface et réfléchissent beaucoup moins le soleil que le sable – ce qui a tendance à augmenter les effets du rayonnement solaire sur le sol. Ce réchauffement ramènerait une végétation à la surface. Cette couverture végétale réduirait encore la réflexion du soleil, augmentant d’autant la température du sol. A terme, cette végétation augmenterait l’évaporation, le frottement de la surface, la couverture nuageuse et, in fine, les précipitations.

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et ramènent végétation et précipitations

Les éoliennes produiraient les mêmes effets, pour des causes différentes : leur pales « provoquent un réchauffement régional significatif sur la température de l’air proche de la surface, avec des variations de la température minimale plus importantes que la température maximale. Le réchauffement est accru durant la nuit car les éoliennes peuvent améliorer le mélange vertical et faire descendre l’air plus chaud du haut vers le bas, en particulier pendant les nuits à la météo stable » détaille l’étude.

En clair : le sol se réchaufferait, davantage quand il fait froid que quand il fait chaud, davantage la nuit que le jour. De quoi provoquer exactement la même chaîne vertueuse que les panneaux photovoltaïques, avec retour de la végétation puis des précipitations.

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Et, cerise sur le gâteau, la région la plus à même de profiter de cette manne serait le Sahel :  « L’augmentation de précipitations la plus importante se produirait dans le Sahel, avec une magnitude de changement comprise entre +200 et +500 mm de précipitations par an, ce qui est suffisamment important pour avoir des impacts écologiques, environnementaux et sociétaux majeurs » pointent les auteurs de l’étude.

Des obstacles politiques et techniques infranchissables ?

De quoi donner envie d’aller soit-même installer des panneaux ou des éoliennes en plein désert. Pour autant, de nombreux obstacles existent à la mise en place de ce cercle vertueux. Les premiers sont politiques et financiers : difficile de trouver un accord transnational pour un projet de ce type, surtout dans des zones où patrouillent encore des groupes terroristes. Et financer un projet de cette ampleur ne se fera pas en claquant des doigts.

Au-delà, des barrières techniques demeurent. Les centrales photovoltaïques du Maroc, avec leurs employés payés à épousseter le sable sur les panneaux, le prouvent : les tempêtes de sable sont un ennemi terrible des énergies renouvelables.

Au-delà se posent la question des infrastructures et de la maintenance : il faut bien amener les panneaux et les éoliennes en plein désert, et pouvoir aller les réparer ou les remplacer si besoin. De quoi nécessiter la construction de routes ou la création d’un véhicule capable d’avancer efficacement sur le sable. A moins que des drones ou des robots puissent bientôt gérer ces difficultés ?

La proposition de Science n’est donc pas une orientation à court, ni même à moyen terme. Mais elle demeure une piste intéressante, sans doute applicable localement à l’échelle d’une vaste région ou d’un petit pays. Reste que l’idée est séduisante, et ouvre de vraies belles perspectives à long terme.

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