La valse-hésitation autour de la centrale de Gardanne, qui doit devenir la première centrale d’énergie par biomasse en France, illustre à merveille les contradiction de cette source d’énergie. Seconde partie de notre étude, centrée sur ce cas particulier, qui démontre la difficulté de trouver le bon équilibre pour rendre cette énergie durable.

Nous avons vu, dans la première partie de notre étude, que pour être réellement durable et renouvelable, une installation d’énergie biomasse devait répondre à quatre critères : ne pas surexploiter la ressources ; ne pas mettre en péril la fertilité des milieux ; ne pas avoir un impact trop fort sur la biodiversité ; ne pas concurrencer d’autres usages, notamment les terres arables ou l’eau. Les différentes actions et prises de position sur la centrale de Gardanne sont au cœur de ces questionnement.

Une centrale à charbon transformée en centrale à biomasse

Au commencement il y avait une centrale à charbon. Construite et gérée par le groupe allemand Uniper, une filiale de E. ON, à Gardanne. La France est en train d’abandonner progressivement l’utilisation des combustibles fossiles pour produire de l’électricité, la fin du charbon est programmée pour 2 023, les cinq dernières centrales en activité, gérée par Uniper pour trois d’entre elles et par EDF pour les deux autres, seront fermées à cette date.

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La centrale à charbon de Gardanne, elle, a été requalifiée par Uniper, en centrale à biomasse, plus précisément en centrale à bois. Située au cœur d’une région forestière, cette métamorphose semblait dans l’ordre des choses. L’Etat a accordé en 2012 à Uniper une autorisation d’exploitation pour ce qui doit devenir la plus grande centrale biomasse de France.

Une autorisation d’exploitation annulée par le tribunal administratif

Le groupe industriel vient d’achever les travaux de transformation, pour un investissement total de 256 millions d’euros, et avait prévu de mettre la centrale en service cet été. Devant monter progressivement en puissance, Gardanne est pensée pour utiliser, à l’horizon 2024, 850 000 tonnes de bois par an. Sur ce total, 445 000 tonnes proviendront du bois forestier local, un partie du reste de déchets verts et de bois de recyclage – et quelques milliers de tonnes devraient venir… du Brésil !

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Mais, à quelques jours de l’ouverture, début juin 2017, le tribunal administratif de Marseille a annulé l’autorisation d’exploitation. Parmi les demandeurs de l’annulation figurent des associations de défense de l’environnement, les parcs naturels régionaux du Lubéron et du Verdon, et deux communautés de communes qui craignent une déforestation sauvage de leurs paysages.

Des effets négatifs sous-estimés par le constructeur ?

Ils soulignent que ces 445 000 tonnes de bois représentent 37% de la ressource forestière disponible dans un rayon de 250 km ; les juges estiment qu’en de pareilles circonstances, Uniper a failli par une étude d’impact insuffisante qui n’analyse pas « les effets négatifs indirects et permanents du projet sur les espaces forestiers de la zone d’approvisionnement ». Les juges remarquent également qu’une information complète des populations concernées étaient un prérequis à tout contrat d’exploitation.

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les populations concernées sont loin d’être convaincues. Non qu’elles refusent le principe d’une centrale à biomasse, l’écrasante majorité le soutient dans l’idée, mais pas à cette échelle. Ce qui effraie, c’est le gigantisme du projet et le fait qu’il menace la ressource bois de surexploitation.

« De tels volumes, ce n’est pas tenable pour une gestion raisonnée de la forêt. Je suis pour la biomasse, pas pour de tels monstres qu’il va falloir alimenter la gueule ouverte. » expliquait ainsi l’année dernière Christphe Castaner, député-maire de Forcalquier (et aujourd’hui, ironie de l’histoire, porte-parole d’un gouvernement qui soutient ce projet…).

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Mais un soutien massif du projet par l’Etat

Car l’Etat a toujours largement soutenu ce projet ; cette centrale fait partie intégrante de la transition énergétique : avec ses 150 MW de puissance, elle doit couvrir 3% de la consommation électrique de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Ce qui explique qu’au lendemain du jugement le préfet des Bouches-du-Rhône a signé un arrêté permettant de continuer l’exploitation de la centrale.

Raison invoquée : la centrale biomasse « contribue de manière significative au renforcement de la qualité d’accès à l’énergie en Provence-Alpes-Côte d’Azur » et « fait partie des unités de production d’électricité dont le concours est indispensable, en particulier en cas de vague de froid et de risque majeur de coupure d’alimentation électrique ».

Le paradoxe de la biomasse

Ce cas illustre parfaitement le paradoxe de la biomasse. L’énergie est considérée comme renouvelable, l’Etat et les collectivités territoriales s’appuient sur elle, l’exploitant lui-même souligne qu’il est engagé dans la transition énergétique et que ce projet est essentiellement écologique ; mais son gigantisme fait craindre une surexploitation dommageable aux forêts locales et à leur durabilité – et quand bien même Uniper contribuerait à replanter autant d’arbres qu’il en coupe, les écosystèmes risquent de souffrir de cette ponction régulière d’un tiers de la surface forestière.

Par ailleurs l’importation de bois brésilien questionne sur l’emprunte carbone globale du projet – d’autant que le bois, même local, sera intégralement acheminé en camions, ce qui contribuerait encore à des émissions de gaz à effet de serre supplémentaires.

« Prendre de la hauteur et éviter toute décision brutale »

Pour l’heure, le gouvernement, par la voix de son ministre de la Transition Energétique Nicolas Hulot, s’est contenté de faire appel de la décision du Tribunal Administratif, mais sans statuer sur le fond. Le ministre a souhaité, selon ses propres mots, « prendre de la hauteur et éviter toute décision brutale ». L’exploitation va continuer, le temps de trouver la meilleure solution possible. Il est peu probable que l’Etat impose une fermeture dont le coût, financier, en terme d’emploi et même symbolique, serait considérable.

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Cette situation est emblématique des ambiguïtés de la biomasse et des légitimes questions qu’elle soulève : car, malgré tous ces inconvénients, produire de l’électricité ainsi est plus vert qu’en brûlant du charbon ou du pétrole.

 

 

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